Tristan Guerra est ATER à Sciences Po Grenoble et doctorant au laboratoire Pacte (@TristanGuerra_)
Lorsqu’une grave crise internationale et inattendue survient, qu’un conflit militaire d’ampleur éclate, ou qu’une attaque terroriste criminelle est perpétrée, la science politique a mis en évidence, depuis près de cinquante ans, un effet de ralliement sous le drapeau (rally ‘round the flag) des opinions publiques nationales qui se traduit par un soutien accru au pouvoir en place, au-delà de la politique poursuivie par celui-ci.
Trois mécanismes, qui ne sont pas mutuellement exclusifs, contribuent à expliquer ce phénomène. Premièrement, lorsque qu’une menace de type existentielle se fait plus palpable, les citoyens ont tendance à se tourner vers les acteurs politiques qui peuvent les protéger des risques posés par un tel bouleversement du statut quo. Deuxièmement, les populations peuvent aussi suivre un réflexe patriotique en se rangeant derrière le gouvernement ou le Président qui incarnent l’unité nationale. Troisièmement, le consensus qui prévaut au sein des élites politiques sur les réponses à la crise, et l’absence de conflit entre elles rapporté dans les médias, peut alimenter puis faire durer ce ralliement des électeurs de tous horizons au pouvoir exécutif.
Quoiqu’il en soit des origines de ce ralliement de la population, ce réflexe de soutien aide les responsables politiques dans des périodes objectivement mauvaises et incertaines à adopter des politiques dictées par l’urgence de la situation. Alors que le soutien politique est essentiel au bon fonctionnement de la société et des institutions politiques en temps ordinaires, la confiance dans le gouvernement devient encore plus nécessaire en temps de crise car elle peut servir de ressource à l’exécutif pour mettre en place des mesures salvatrices que la situation exige, ou bien renforcer l’unité nationale pour mieux faire valoir les intérêts du pays sur la scène internationale.
Ralliements d’hier et d’aujourd’hui
Les réactions de l’opinion publique américaine à certaines crises internationales qui impliquaient les États-Unis fournissent des exemples canoniques de ce mécanisme. Le président américain a ainsi vu sa popularité bondir après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 ou, dix ans plus tôt, lors de l’intervention militaire américaine “Opération Tempête du désert” en 1991 lors de l’engagement militaire en Iraq en pleine guerre du Golf.
On a pu observer des phénomènes assez identiques à travers plusieurs épisodes de la guerre froide (par exemple, lors de la guerre de Corée, de l’intervention au Vietnam ou de la crise des missiles à Cuba). L’envergure et la longévité de ces effets de ralliement varient, allant d’effets d’ampleur (par exemple, une augmentation de 35 points de pourcentage de l’approbation présidentielle après le 11 septembre) et durables (plus d’un an), à des effets plus modestes et éphémères qui ne perdurent que quelques semaines ou quelques mois tout au plus (vagues d’attentats sous le quinquennat Hollande).
Plus proche de nous, on a observé un tel effet lors de l’irruption de la pandémie de la Covid-19 qui a, dans un premier temps, fortement rassemblé les opinions publiques derrière l’exécutif en place et permis l’adoption de mesures restreignant temporairement les libertés publiques dans l’objectif de protéger les populations contre la nouvelle menace sanitaire.
Si cet effet s’est traduit en général par une augmentation de la confiance dans l’exécutif et une hausse des intentions de vote en faveur du parti au pouvoir , l’effet peut en réalité différer assez fortement en fonction de l’intensité du conflit politique et de la configuration des institutions domestiques. Cette dernière observation rejoint des travaux en matière de politique étrangère, où les réponses aux menaces extérieures reflètent avant tout l’environnement politique national dans lequel elles sont introduites, loin de créer systématiquement une unité transpartisane.
En Ukraine, l’effet du ralliement a joué à plein et de manière spectaculaire : la popularité du Président Zelensky atteint désormais 91% le 22 février, en hausse de 39 points depuis le début du mois de février. A l’image de George W. Bush avant les attentats du 11 septembre 2001, le président Zelensky était plutôt impopulaire, sur fond d’accusations d’amateurisme, de stagnation économique, d’accusations de corruption et de détérioration des relations avec la Russie.
A l’inverse, ce ralliement sera vraisemblablement limité dans le cas américain sur l’approbation de l’action de Joe Biden. En effet, certains politistes soulignent que la polarisation affective est trop intense aux États-Unis entre démocrates et républicains pour susciter un ralliement pour un enjeu qui, en dehors des citoyens les plus informés, est encore assez peu saillant pour susciter un élan aussi puissant que lors des crises internationales des dernières décennies.
Ralliement en temps électoraux, affaiblissement démocratique ?
Lorsque des élections régulières doivent se tenir, comme c’est le cas en France prochainement, le pouvoir en place devrait en toute logique bénéficier de cette situation de crise. Cela a commencé par se traduire dans la hausse des intentions de vote en faveur d’Emmanuel Macron, comme illustré par la figure ci-dessous.
Mais la guerre aux portes de l’Europe peut être synonyme d’une campagne courte, qui ne décolle jamais vraiment et donnera peu d’occasions à l’ensemble des candidats de faire valoir leurs différences. Or, il n’existe pas d’électorat en dehors des élections. C’est en effet tout l’enjeu d’une campagne électorale de politiser les électeurs, dont une partie d’entre eux ne s’intéresse à la politique que de façon sporadique.
Une réélection facilitée par des circonstances dramatiques et un débat démocratique contraint pourrait aller de pair avec un mandat à la légitimité plus étroite que jamais, alors même que les conflits domestiques ont émaillé le quinquennat précédant et durablement perturbé l’exercice du pouvoir et la légitimité des décisions. Une réélection facilitée par l’ombre d’un conflit qui occulterait la campagne d’une élection présidentielle sacralisée par le régime de la Vème République, objet de toutes les attentes et de toutes les déceptions, pourrait paradoxalement affaiblir la capacité du futur président à gouverner. Du ralliement sous le drapeau au risque démocratique, il n’y a parfois qu’une élection
Ce billet a été initialement publié sur Poliverse le 10 mars 2022.