Anne Bartel-Radic, Professeure des universités en sciences de gestion et du management, Université Grenoble Alpes (UGA) et Amélie Artis, Enseignant-Chercheur et Maître de conférences HDR à Sciences Po Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)
Sanitaire et social, éducation, jeunesse, développement local, protection de l’environnement, humanitaire ou encore activités culturelles et de loisirs… Partout en France, le nombre d’associations, quel que soit le domaine, ne cesse de croître. On l’estime à 1,5 million à l’heure actuelle, c’est 200 000 de plus qu’en 2011. Cela représente en moyenne 30 000 organisations de plus chaque année.
44 % d’entre elles ne s’adressent pas qu’à leurs seuls membres mais se tournent vers des publics extérieurs. Leur budget cumulé reste important : 113,3 milliards d’euros, soit environ 3,3 % du PIB français, et augmente aussi chaque année, en moyenne de 1,6 % entre 2011 et 2017.
La vie associative repose largement sur l’engagement de bénévoles, sujet d’un questionnement récent du Conseil économique social et environnemental (Cese) au cours d’une journée intitulée « l’engagement bénévole, indispensable facteur de cohésion sociale et de citoyenneté ».
On recense ainsi près de 22 millions de membres actifs en France, représentant un volume de travail de l’ordre de 1 425 000 emplois en équivalents temps plein. Seules 10,6 % des associations ont recours à l’emploi salarié. Bien qu’elles n’aient pas de but lucratif, les associations restent des organisations à part entière, avec des objectifs, une coordination des activités individuelles à mettre en place et des actions collectives à gérer.
N’y aurait-il pas, cependant, un paradoxe à associer bénévolat et management ? Le second terme, issu du monde de l’entreprise, est souvent confondu avec une logique simplement financière et comptable, de baisse des coûts et d’augmentation des résultats. Le bénévolat demeure, lui, un engagement libre et non rémunéré : n’est-ce pas illogique, voire immoral, de vouloir y appliquer des logiques gestionnaires ?
Cadre formel et identité partagée
Ces questions sont abordées par l’ouvrage collectif Bénévolat et management : pratiques, paradoxes et préconisations, récemment paru, auquel 14 enseignants-chercheurs et experts du monde associatif ont contribué. Il explique notamment que se tourner vers les sciences de la gestion pour de manager des volontaires n’est pas inutile.
Comment attirer et recruter des bénévoles ? Quelles tâches leur affecter ? Comment satisfaire et récompenser les bénévoles ? Comment les fidéliser ? Ces questions de management se posent au même titre que pour d’autres ressources humaines. Aucune organisation ne peut être performante sur le long terme sans réussir la gestion opérationnelle qui doit permettre d’atteindre les objectifs fixés. Il en est de même pour les organisations mobilisant des bénévoles.
De nombreux aspects du management de bénévoles ne diffèrent pas tellement du management de salariés. Ainsi, une association d’assistance psychologique aux personnes en détresse a mis en place des procédures de recrutement des bénévoles semblables à celles de salariés en grande entreprise. Elle publie des annonces de recrutement dans la presse et sur Internet et les personnes intéressées passent plusieurs entretiens avec des psychologues avant d’entrer dans un parcours de formation et d’intégration progressive.
Même pour des postes de bénévoles moins sensibles, il convient de s’assurer d’une bonne adéquation au poste à pourvoir, et aux valeurs de l’organisation. La question du sens et de la motivation est importante pour laisser des espaces de choix et d’autonomie pour les bénévoles. Expliciter autant que possible ce que l’organisation leur propose (ou pas !), est essentiel. La contractualisation via des conventions d’engagement, des contrats civiques ou encore la mise en place d’entretiens de suivi s’observe aussi de plus en plus dans les grandes associations. Cela s’est avéré opportun dans le cas de plusieurs associations présentées dans l’ouvrage.
Parallèlement au cadre formel, il est important de créer une identité partagée par les membres actifs. Dans le cas d’un grand événement sportif, par exemple, la convivialité et l’esprit d’appartenance passent par des soirées réservées aux bénévoles, à la fin de chaque journée de l’événement. Pareillement, une association d’aide aux immigrants organise des événements sociaux semestriels, et des sorties dans les environs.
Différencier bénévoles et salariés
Ceci étant dit, il ne faut toutefois pas confondre le rôle des bénévoles avec celui des salariés. Dans l’ouvrage, une association dans le domaine de l’action sociale et de la santé confie ainsi son activité d’accueil des bénéficiaires aux bénévoles, mais leur suivi administratif aux salariés.
Instaurer une « hiérarchie » propre aux bénévoles s’avère pertinent. Ils peuvent alors s’adresser à leur référent bénévole en charge d’identifier et de définir les tâches, organiser les éventuelles formations ou apprentissages, et répondre à leurs questions.
L’articulation entre les rôles des uns et des autres permet une stabilité pour l’organisation et favorise la fidélité comme le renouvellement des bénévoles. Lorsqu’une grande association de solidarité a choisi de confier la réorganisation de son bureau au comité de direction, elle a ainsi très vite compris la nécessité d’avoir recours à des experts tiers pour accompagner la construction du collectif, et ne créer aucune ambiguïté et asymétrie entre les rôles respectifs. Les divergences entre bénévoles et salariés sur des sujets sensibles sont souvent réduites aux compétences et à leur investissement. Or, la prise en compte de la dimension subjective et intersubjective s’avère un facteur déterminant. Il faut donner du sens à l’engagement de chacun.
La séparation par le statut, bénévole ou salarié, ne constitue cependant pas toujours une frontière hermétique pour organiser les compétences et éviter le sentiment de concurrence. Avec parfois des risques. Dans une association du secteur du handicap, la direction a négligé la gestion des ressources humaines salariées et laissé se multiplier les heures de travail des salariés non payées. L’association a ainsi dérivé vers une « bénévolisation » de ses salariés qui pèse sur leur bien-être au travail, et sur l’attractivité employeur de l’association qui a connu de nombreux départs.
En quête de reconnaissance
Alors qu’ils sont par définition non rémunérés, il est essentiel de valoriser le travail fait par les bénévoles. Leur accompagnement, notamment par des échanges réguliers, et des remerciements, formels et informels, y participe. Car, si les bénévoles s’engagent pour s’épanouir, ils le font aussi en quête d’une certaine reconnaissance (y compris écrite).
La perception des « récompenses » reçues dépend des attentes des bénévoles et il convient donc de les questionner en amont et d’expliciter les contreparties proposées. Ce qui leur a été « promis », ou ce qu’ils pensent qu’il leur a été promis, forme ce que l’on appelle des « contrats psychologiques ». Plus ceux-ci seront réalistes, plus les bénévoles estimeront que le contrat a été « tenu », ce qui renforcera leur satisfaction et leur engagement. Le grand événement sportif déjà évoqué précédemment décrit ainsi sur son site Internet différents « packs », dans lesquels des durées d’engagement bénévole déterminent les objets et événements offerts en contrepartie.
Gérer des bénévoles requiert en tout état de cause une approche spécifique, qui ne consiste ni à transposer simplement le management de salariés, ni à « ne rien faire ». La mobilisation du bénévolat n’est pas une action spontanée : ces contributions sont à organiser, hiérarchiser, favoriser au sein de l’organisation, en un mot… à manager.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.