Christophe Bouillaud, Professeur de Science Politique à Sciences Po Grenoble et au laboratoire Pacte (@BouillaudC)
Dans ces temps extraordinaires, les élections régionales italiennes se sont déroulées de manière ordinaire et s’inscrivent dans la continuité de la vie politique italienne des dernières années. Ainsi, la participation électorale ne s’est pas particulièrement écroulée, elle est supérieure à 50 % dans toutes les régions qui ont voté pour désigner leur exécutif régional, et l’on retrouve à l’avant-scène les protagonistes habituels. Aucun nouvel acteur politique n’a en effet réussi à émerger lors de ces élections régionales, alors que ce fut souvent le cas par le passé lors d’élections régionales (comme la Ligue du Nord en 1990 ou le M5S en 2010).
A cela, il faut ajouter que le scrutin référendaire de confirmation de la réforme constitutionnelle, celle votée en 2019 par les deux Chambres du Parlement de réduction d’un tiers du nombre de députés et de sénateurs, a connu le résultat attendu, à savoir une nette victoire du « oui » avec 70 % contre 30 % de « non », avec une participation globale à ce scrutin de 51 %. Cette réforme avait été combattue par les représentants des forces politiques les plus traditionnelles (dont en particulier Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi) et les politiciens les plus âgés (par exemple Romano Prodi) dont la carrière avait commencé avant 1992 et avait marqué à la période dite de la « Seconde République » (1992-2011).
Les 30 % d’électeurs réticents à cette réduction représentent d’ailleurs un résultat plutôt satisfaisant pour les perdants dans la mesure où l’antiparlementarisme, qui est au fondement de la réforme promue par le Mouvement 5 étoiles (M5S), ne semble finalement pas aussi unanime qu’il pouvait paraitre.
Une poussée de la droite
Du point de vue général, ce scrutin correspond à une poussée limitée de la droite, qui, sur les quatre régions en jeu, ne gagne que la région des Marche. Au niveau global, le Parti démocrate (PD) au pouvoir avec le M5S résiste fort bien, alors que son partenaire du M5S, non seulement ne gagne aucune présidence de Région, mais continue de s’effondrer électoralement comme il l’a fait à tous les scrutins depuis sa grande victoire de 2018 qui l’a amené aux affaires du pays. Au sein de la droite, la dynamique de la Ligue de Matteo Salvini semble enrayée, le déclin de FI se confirme et le parti issu de la tradition néo-fasciste légaliste et électoraliste, Frères d’Italie (FdI) de Giorgia Meloni, s’impose comme le second parti de la droite.
Selon les calculs de l’Institut Cattaneo, aux régionales, le PD serait ainsi le premier parti avec 19,8 % des voix, la Ligue le second avec 13,1%, FdI le troisième avec 10,6 % et le M5S – premier parti lors des élections de 2018 – ne serait plus que le quatrième avec 7,6 %, et le cinquième serait FI avec 5,4 %. Toutes les autres forces politiques seraient bien en dessous de 5 % des suffrages.
Enfin, ce qui paraît peut-être le plus remarquable, c’est que dans les trois régions sur quatre qui ne changent pas de camp politique, les gouverneurs sortants semblent obtenir un plébiscite sur leur nom, qui se traduit par la percée de leur liste civique. C’est particulièrement vrai en Vénétie : le gouverneur sortant, Luca Zaia, membre de la Ligue, gagne avec 77 % des voix, et sa liste « Zaia Président » fait à elle seule 41,5 % de ces suffrages, alors que la liste de son parti, la Ligue, n’est choisie que par 17 % des électeurs.
En Campanie, même configuration, certes très atténuée, le sortant Vincenzo De Luca, membre du PD, gagne avec 69,5 % des voix, et sa liste «De Luca Président », est à 13,3%. Dans les Pouilles, le sortant Michele Emiliano, lui aussi à gauche, gagne avec 46,8 %, et deux listes l’appuient, «Avec Emiliano » à 6,6 % et « Emiliano Maire des Pouilles » à 2,6 %. Enfin, en Ligurie, le sortant de droite, un ex-membre de FI, Giovanni Toti est réélu avec 56 % des voix, soutenu lui aussi par sa liste «Changeons avec Toti Président » à 22,6 % des voix, alors que la Ligue ne fait que 17 % des voix, FdI 10,8 % et son ancien parti FI est 5,7 % des suffrages. Il n’y a finalement qu’en Toscane, où la gauche l’emporte avec 48,6 % des suffrages, et dans les Marches, où la gauche perd avec 38 % des voix, que le poids personnel du gouverneur semble négligeable (avec des listes de soutien personnel à 2-3 %).
En résumé, le résultat de ces élections régionales confirme le poids croissant de l’image du gouverneur de région s’il est sortant dans le choix des électeurs. Cela n’est pas seulement lié à la gestion au jour le jour de l’épidémie depuis mars 2020, mais à une image positive de ces gouverneurs construite dans le temps long auprès des électorats de leurs régions respectives, car ni Toti en Ligurie ni Emiliano dans les Pouilles n’ont été particulièrement brillants sur ce point, contrairement à Zaia en Vénétie et De Luca en Campanie qui ont été « au charbon ».
Un scrutin plus important qu’en France
En fait, ce scrutin régional est bien plus important qu’en France, car les régions italiennes ont bien plus de prérogatives que nos régions. L’Italie est un Etat quasi-fédéral. Les prérogatives et les budgets des régions italiennes sont donc sans commune mesure avec ce qui existe en France. En particulier, les régions italiennes gèrent largement tout le système de santé.
Par contre, en Italie, le choix a été fait de ne pas faire voter toutes les régions la même année, ce qui ne permet pas comme en France d’avoir une image des choix de l’ensemble du pays. Dans le cas présent, seules cinq régions dites à statut ordinaire (Vénétie, Ligurie, Toscane, Marches, Pouilles) et une région à statut spécial (Vallée d’Aoste) ont voté. Leur bonne répartition sur le territoire permet tout de même d’en tirer des leçons nationales.
De fait, ces élections représentent plutôt un soutien à la principale force traditionnelle qui soutient le gouvernement, à savoir le PD. En effet, non seulement, il ne perd pas les Pouilles et la Toscane, mais il reste un parti important partout où l’on a voté. La scission Italie Vive (IV) dirigée par son ancien chef, Matteo Renzi, n’obtient pas de bons résultats, avec par exemple seulement 4,4 % des voix en Toscane, où ce dernier a commencé son ascension politique. Autrement dit, à gauche, il n’y a qu’un seul parti qui compte sur le terrain : le PD.
Par contre, le partenaire de gouvernement du PD, le M5S, est décidément sur la mauvaise pente. Ses résultats sont partout médiocres, et la seule consolation qu’il peut avoir n’est autre que le soutien très majoritaire à sa réforme anti-parlementariste de diminution du nombre de parlementaires. En pratique, cela veut dire que le M5S va continuer à osciller entre différentes lignes, mais que les parlementaires actuels du M5S ne peuvent plus avoir de doutes raisonnables sur le fait qu’en cas de nouvelles élections (surtout avec en plus moins de parlementaires à élire), ils sont destinés à perdre leur siège.
Autrement dit, en cas de crise gouvernementale, une bonne partie d’entre eux seront tentés de soutenir n’importe quel gouvernement plutôt que de permettre des élections anticipées au printemps 2021. Ils vont savoir se montrer « responsables » comme on dit en jargon politique italien pour désigner les députés et sénateurs prêts à tous les reniements pour un très confortable salaire de parlementaire de la République italienne.
Les difficultés stratégiques de la Ligue
Dans le sud (Campanie et Pouilles), la gauche sortante présentait des gouverneurs charismatiques. La droite a donc logiquement perdu. Dans ce contexte, la Ligue ne fait pas de si mauvais résultats, surtout si l’on se rappelle que la Ligue du Nord jusqu’en 2013 faisait des résultats proches de zéro au sud de la Toscane.
La stratégie de nationalisation de la Ligue, liée à la personne de Matteo Salvini, s’articule avec le maintien d’une prise de la Ligue dans les fiefs traditionnels. On aurait tort de croire qu’elle a été abandonnée. En effet, la volonté des élus de la Ligue a toujours été de peser au niveau national et pas de s’enfermer dans un réduit régional, d’où la participation de la Ligue aux gouvernements Berlusconi successifs. Même si, d’aventure, M. Salvini était remplacé à la tête de son parti, on retrouverait cette même volonté de peser, et donc de pouvoir exister partout dans le pays.
La vraie difficulté de la Ligue de Salvini n’est pas tant sa nationalisation que dans le fait que Matteo Salvini lui-même en ait trop fait en paroles lors de cette crise sanitaire, sans pouvoir agir directement. Il est apparu du coup comme un agitateur un peu brouillon, et non comme une personne responsable des effets de ses paroles sur le comportement de ses concitoyens. On pense en particulier à son appel à pouvoir célébrer la messe de Pâques dans des églises de nouveau ouvertes au public, alors même que l’Eglise catholique n’en demandait pas tant, se montrant elle bien plus économe de la vie de ses fidèles que ce zélote de pacotille.
Un scrutin sous influence de la COVID-19
Clairement, les deux gouverneurs sortants, réputés avoir bien maîtrisé la crise sanitaire, Luca Zaia et Vincenzo De Luca ont été récompensés par les électeurs de leurs régions respectives. Il est d’ailleurs intéressant de noter que tous deux ont choisi des stratégies dites de « suppression » du virus, soit en testant et en isolant au maximum comme en Vénétie, soit en évitant que des personnes viennent apporter le virus en Campanie – une ironie de l’histoire italienne, où un sudiste empêche les nordistes de venir chez lui. Cela devrait peut-être être une leçon plus générale : laisser circuler le virus n’est pas une bonne option du strict point de vue électoraliste. Il serait bon qu’on s’en rende compte aussi de ce côté-ci des Alpes.
Une version courte de cette analyse a été initialement publiée par FigaroVox le 24 septembre 2020.