Florent Gougou, Maître de conférences, et Simon Persico, Professeur de science politique, à Sciences Po Grenoble et au laboratoire Pacte
Depuis le mois d’octobre 2019, 150 citoyennes et citoyens ont été tirés au sort pour participer à la Convention citoyenne pour le Climat (CCC). Leur lettre de mission consistait à « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990 ».
La CCC, une innovation démocratique majeure, inspirée des théories de la délibération citoyenne. Pendant six mois, ses membres ont eu le temps d’apprendre, de débattre, d’échanger, bref de se forger une opinion éclairée et argumentée pour formuler des propositions. On retrouve dans leurs discussions les tensions qui structurent la société française. Les propositions qu’ils vont formuler auront donc une grande importance et qualité démocratique.
Du 19 au 21 juin prochain, la CCC se réunira une dernière fois pour choisir par quels processus juridiques les propositions issues de ses travaux seront mises en œuvre, entre la voie réglementaire, la voie parlementaire et la voie référendaire. Ces voies ne sont pas exclusives : elles pourraient être mobilisées en parallèle pour transformer les propositions en nouvelles normes juridiques. Chacune de ces voies a des avantages et des inconvénients.
Le passage par la voie réglementaire ou législative accroît les chances que les propositions de la CCC restent lettre morte, rejoignant ainsi des milliers de propositions formulées par les divers comités ou commissions qui jalonnent l’histoire de la Cinquième République. C’est pourquoi, il nous semble que la voie référendaire est une occasion historique de clore ce moment inédit de démocratie délibérative par un processus de démocratie directe, lors duquel les Françaises et les Français pourraient s’emparer des questions des questions de climat et de justice sociale – et décider ensemble de leur avenir. C’est l’enjeu majeur d’un référendum.
Cette décision d’organiser un référendum ne dit cependant rien de la forme de celui-ci ni des questions qui seraient concrètement posées. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il est important que les citoyens réunis dans la CCC obtiennent la tenue d’un référendum décisionnel, portant sur plusieurs propositions qui ne soient pas consensuelles, de portée constitutionnelle ou à visée symbolique.
Un référendum décisionnel : les référendums consultatifs n’offrent aucune garantie quant à la mise en œuvre du choix exprimé dans les urnes. Il est vital pour le fonctionnement de la démocratie que le vote du peuple se traduise en normes juridiques.
Un référendum portant sur plusieurs questions : ce dispositif éviterait qu’un seul projet de loi omnibus, regroupant de multiples propositions, soit rejeté par le référendum parce qu’une seule des propositions suscite l’opposition du peuple, faisant ainsi invalider l’ensemble des propositions. Cela améliorerait aussi la qualité du débat démocratique et permettrait de se prémunir contre la pratique « plébiscitaire » du référendum – lorsque le peuple ne se prononce pas « pour » ou « contre » le texte soumis au vote mais « pour » ou « contre » le Président de la République, qui a décidé de l’organisation du référendum.
Un référendum portant sur des mesures opérationnelles et directement applicables et pas seulement sur des grands principes consensuels, symboliques et/ou constitutionnels : ce type de mesures accroît certes le risque d’oppositions, mais l’état de l’opinion sur les enjeux de transition écologique invite à un certain optimisme. Surtout, cela assure une mise en œuvre directe de propositions transformatrices, quand des textes de nature symbolique ou constitutionnelle ont des effets plus limités sur la réalité de la transition écologique et sociale.
En définitive, le choix des modalités de validation des propositions et des formes que pourrait prendre un référendum sera un choix politique. Il dépend des préférences de plusieurs acteurs – les citoyennes et citoyens composant la Convention et le Président de la République, bien sûr, mais aussi le Premier Ministre, son gouvernement et les parlementaires. Si la Convention veut maximiser les chances de concrétiser les propositions qui seront issues de ses travaux et de pérenniser ce nouvel instrument de prise de décision démocratique, il paraît fondamental qu’elle prenne (et qu’on lui laisse) le temps de discuter des modalités de leur validation, qu’elle adopte des positions claires sur la suite du processus et qu’elle défende ces positions dans le dialogue qui s’engagera avec l’exécutif.
Tous les acteurs souhaitant une sortie de crise du Covid-19 qui ne soit pas, un retour à « l’anormal », doivent aujourd’hui saisir l’importance de ce moment politique. En effet, si les propositions de la CCC ne sont pas encore toutes connues, elles s’inscrivent dans la droite ligne des dizaines de tribunes et autres appels publiés ces dernières semaines, exhortant à transformer nos modes de développement pour les rendre plus soutenables et solidaires. L’atterrissage politique de la Convention citoyenne est une étape cruciale dans cette bataille.
Dans les conditions que nous avons décrites, un référendum permettrait de faire entrer les politiques publiques françaises, et la société dans son ensemble, dans une véritable trajectoire de transition.
Cette analyse est le résumé d’un article paru dans La Vie des Idées le 29 mai 2020.