Antoine Bristielle est professeur agrégé de sciences sociales, doctorant au laboratoire Pacte (@AntoineBristie1). Tristan Guerra est enseignant vacataire à Sciences Po Grenoble, doctorant au laboratoire Pacte (@TristanGuerra_)
Lorsqu’un régime démocratique traverse une crise aiguë, les pouvoirs publics ont besoin plus qu’à l’accoutumée d’un large soutien populaire afin d’asseoir la légitimité des décisions qui peuvent temporairement contraindre les libertés des citoyens. Les résultats du baromètre de la confiance politique, publié à échéance régulière par le CEVIPOF, ont confirmé qu’en ces temps d’urgence sanitaire, le président de la République tout comme le gouvernement n’arrivaient pas à susciter une confiance aussi importante au sein de la population que ce que l’on peut constater chez nos voisins européens.
Les premières interprétations de cette défiance n’ont pas tardé à se faire entendre. «Sévères», «bougons», «méfiants», voire même «irresponsables», les adjectifs dépréciatifs pleuvent pour qualifier l’attitude critique des Français. A contrario, chez nos voisins, la crise du coronavirus a engendré un regain important de popularité pour les gouvernements en place, ce qui manifesterait leur «maturité», leur «discernement», et leur capacité à se rassembler derrière le drapeau pour former l’union sacrée contre le virus. Sans remettre en question les manquements de l’exécutif français dans sa gestion de la crise, il est en effet déstabilisant de constater que des chefs d’État ou de gouvernement tels Boris Johnson, Giuseppe Conte ou même, dans une moindre mesure, Donald Trump, suscitent davantage d’adhésion qu’Emmanuel Macron, quand leur gestion de la crise est parfois plus hasardeuse encore.
Un soutien politique en trompe-l’oeil
Pour comprendre la faible confiance dont pâtit actuellement le président français, il faut se souvenir que son élection en 2017 repose sur une base sociale particulièrement réduite: les 66 % de voix obtenues au second tour de l’élection présidentielle s’expliquent davantage par le rejet de Marine Le Pen que par l’adhésion au projet du candidat d’En Marche. La base de soutiens réels à Emmanuel Macron se saisit au contraire beaucoup mieux dans les 24 % de suffrages obtenus au premier tour de la présidentielle de 2017 et dans les 22 % aux élections européennes de 2019.
Or, la confiance politique conserve avant toute chose un aspect partisan. Plutôt que les considérations psychologisantes et essentialistes sur les traits des Français, la meilleure explication de la confiance dans l’exécutif est également la plus simple: les sympathisants LREM ont confiance dans le gouvernement, à l’inverse de ceux qui soutiennent les oppositions. Dans un sondage de l’IFOP réalisé après la dernière allocution du président, à peine 22 % des électeurs proches de la France Insoumise et 20 % de ceux du Rassemblement National déclaraient avoir confiance dans le gouvernement pour faire face efficacement au coronavirus, quand la confiance se manifestait chez presque 90 % des sympathisants de la République en marche.
La polarisation partisane n’est pas un phénomène propre à la France, elle peut même se manifester plus intensément encore dans d’autres pays. Ainsi aux États-Unis l’immense majorité des Républicains approuvent l’action de Donald Trump, contre seulement 7 % des Démocrates. Au Royaume-Uni, l’envolée de la côte de popularité de Boris Johnson s’est produite au sein de son propre camp, le taux de satisfaction chez les conservateurs passant de 56 % en juillet 2019 à 97 % mi-avril 2020. Là aussi, seuls 34 % des travaillistes approuvent son action. Le «ralliement sous le drapeau» si souvent prophétisé en temps de crises majeures se traduit dans la réalité par le rassemblement de la totalité de son camp, mais très peu au-delà. C’est aussi vrai des régimes parlementaires gouvernés par de larges coalitions qui représentent une part conséquente de l’électorat. À la différence de la France, la constitution d’une coalition permet aux gouvernements allemands et italiens de pouvoir compter sur davantage de soutien. En Italie, pays pourtant meurtri par l’épidémie, le gouvernement issu d’une coalition composée du parti de centre-gauche et d’une formation populiste bénéficie d’un soutien qui atteint 56 %. Certes, dans le cas de l’Allemagne, la forte hausse de la popularité de la chancelière s’est manifestée en dehors de son propre parti mais c’est auprès des électeurs des deux partis de la grande coalition que l’appui est le plus important. Dans ces différents types de régimes, les modes de scrutin obligent les gouvernements à reposer sur une base sociale plus étendue, ce qui leur confère en retour une popularité plus importante, même en temps de crise.
Le faible soutien dont bénéficie Emmanuel Macron provient ainsi largement du système politique de la Cinquième République, devenue une «machine à décevoir» selon l’expression d’Emiliano Grossman et Nicolas Sauger. La focalisation sur l’élection présidentielle, pierre angulaire du régime, produit des attentes démesurées envers un président pourtant limité dans ses marges de manœuvres – et ce malgré toute la rhétorique «jupitérienne» dont il peut faire usage. S’ensuit un déclin de sa popularité rapidement après son entrée en fonction et le repli sur son cœur électoral du premier tour. Aujourd’hui encore, à l’ère du coronavirus, cette défiance envers le président reste la traduction logique du fonctionnement du système politique.
Une confiance minée par le jeu des institutions
En temps ordinaire, les institutions de la Cinquième République masquent cette réalité en permettant au chef de l’État de gouverner avec une assise électorale réduite. La situation se complique néanmoins lors des périodes de crises intenses, où des mesures exceptionnelles nécessitent et exigent l’approbation d’une large partie de la population pour être acceptées. Or ces appels à l’union viennent se briser contre le mur partisan: la défiance qui existait avant se manifeste de la même manière pendant la crise. Ce faible niveau de confiance peut conduire les gouvernants en place à ne pas adopter les politiques publiques les plus efficaces au vu de la situation, par peur de détruire le peu de capital politique qu’ils ont réussi à se constituer au cours des dernières semaines. Il s’agit d’un vrai paradoxe pour un régime qui avait été conçu dès ses origines pour affronter les périodes de l’histoire les plus tumultueuses. La crise sanitaire actuelle révèle ainsi les carences du système politique dans sa capacité à assurer la légitimité dont le gouvernement aurait besoin pour la surmonter.
Cette situation peut amener à deux types de réponses politiques. La première, qui semble envisagée par l’exécutif, passe par un élargissement du gouvernement à des personnalités provenant de partis de droite ou de gauche. Cette stratégie semble également faire son chemin dans l’opinion, comme le montrent les récents sondages plébiscitant la mise en place d’un gouvernement d’union nationale. Une réponse qui semble toutefois compliquée à envisager sur le long terme tant le jeu institutionnel n’est pas propice à ce genre de compromis.
Dès lors, une seconde option plus ambitieuse passe par une réforme profonde du système institutionnel où la constitution d’une majorité nécessiterait de rassembler un socle politique plus étendu, mais qui lui assurerait en retour une plus forte légitimité, y compris dans des moments historiques qui soulignent les limites du régime en place. Sans toucher au mode d’élection du président de la République, il semble indispensable que les élections législatives aient lieu le même jour que l’élection présidentielle afin de recentrer la place du Parlement dans la vie politique. Cela passe par l’instauration d’une dose de proportionnelle lors des législatives de façon à corriger les effets du mode de scrutin majoritaire. Le rapport de force issu du premier tour des législatives et de la présidentielle obligerait ainsi les partis à négocier réellement entre les deux tours afin de faire émerger une majorité politique au second tour. Un gouvernement représentant davantage les équilibres politiques réels serait formé, diminuant la défiance générale de l’électorat. Cette solution allierait stabilité institutionnelle et meilleure représentativité démocratique. De ce point de vue, le Grand Confinement pourrait être le moment d’engager les grandes transformations dont la démocratie française a besoin.
Dès lors, une seconde option plus ambitieuse passe par une réforme profonde du système institutionnel où la constitution d’une majorité nécessiterait de rassembler un socle politique plus étendu, mais qui lui assurerait en retour une plus forte légitimité, y compris dans des moments historiques qui soulignent les limites du régime en place. Sans toucher au mode d’élection du président de la République, il semble indispensable que les élections législatives aient lieu le même jour que l’élection présidentielle afin de recentrer la place du Parlement dans la vie politique. Cela passe par l’instauration d’une dose de proportionnelle lors des législatives de façon à corriger les effets du mode de scrutin majoritaire. Le rapport de force issu du premier tour des législatives et de la présidentielle obligerait ainsi les partis à négocier réellement entre les deux tours afin de faire émerger une majorité politique au second tour. Un gouvernement représentant davantage les équilibres politiques réels serait formé, diminuant la défiance générale de l’électorat. Cette solution allierait stabilité institutionnelle et meilleure représentativité démocratique. De ce point de vue, le Grand Confinement pourrait être le moment d’engager les grandes transformations dont la démocratie française a besoin
Cette analyse a été initialement publiée par Le Figaro le 30 avril 2020.